Effet cutané de l'erlotinib, est-ce une fatalité !
H. BOURRA, S. LEMTIBBET, FZ. LAMCHAHAB, L. BENZEKRI,
K. SENOUCI, B. HASSAM
Service de Dermatologie Vénérologie, CHU Ibn Sina, Faculté de Médecine et de Pharmacie,
Université Mohamed V, Souissi, Rabat, Maroc
La prise en charge des patients en oncologie a été profondément modifiée ces dernières années par l’arrivée des thérapies ciblées anticancéreuses. Si ces nouvelles molécules présentent généralement un profil de tolérance correct, la toxicité dermatologique induite, souvent caractéristique, peut être au premier plan.
L’erlotinib plus communément connu sous le nom de Tarceva® est un inhibiteur du facteur de croissance épidermique, faisant partie des thérapies dites « ciblées » de plus en plus utilisées dans le traitement de certaines néoplasies. Il est responsable d’effets cutanés non rares, qu’il faut savoir gérer actuellement pour améliorer la survie de nos patients.
Cet anticancéreux appartient au groupe des inhibiteurs du récepteur du facteur de croissance épidermique (EGFR: Epidermal Growth Factor Receptor). La toxicité cutanée fait partie des effets indésirables multiples de cette molécule, nous rapportons ici un cas clinique illustrant cette atteinte.
Observation
Il s’agit d’un patient âgé de 60 ans, suivi pour un carcinome pulmonaire non à petites cellules stade IV traité par chimiothérapie à base d’erlotinib 150 mg/j après échec de deux lignes successives de chimiothérapie. Quinze jours après le début du traitement, il a présenté une éruption papulo-pustuleuse localisée au niveau du visage, du tronc et du dos. L’examen clinique a trouvé des lésions papulo-pustuleuses, prurigineuses, acnéiformes, d’aspect monomorphe, localisées au niveau du visage et des zones séborrhéiques, sans comédons associés (figures 1, 2 et 3). Le diagnostic retenu était en faveur d’une éruption acnéiforme grade 2 traitée par doxycycline 100 mg/j pendant 3 mois avec bonne évolution. La décision thérapeutique était de maintenir l’erlotinib à 150 mg/j.Discussion
Les inhibiteurs du récepteur à l’EGF représentent actuellement une famille thérapeutique majeure au sein des thérapies ciblées anticancéreuses. Ils ont notamment démontré leur intérêt dans la prise en charge des cancers colorectal, pulmonaire et pancréatique métastatiques et certains cancers ORL en association avec la radiothérapie et/ou la chimiothérapie.
Il existe plusieurs inhibiteurs de l’EGFr ; l’erlotinib est un anticorps monoclonalinhibiteur de la tyrosine kinase spécifiquement dirigé vers la portion intracellulaire du récepteur à l’EGFr. Plus récemment, la molécule erlotinib a également été évaluée dans certaines formes de carcinomes épidermoïdes cutanés (non résécables, étendus ou métastatiques)(1) et plus sporadiquement dans des carcinomes basocellulaires évolués(2).
Effets dermatologiques
Les effets dermatologiques liés aux traitements anti-EGFR sont bien décrits dans la littérature(3,4). Le mécanisme conduisant à cette toxicité n’est pas encore élucidé, toutefois il semble que l’inhibition des récepteurs à l’EGF présents dans les kératinocytes (cellules des follicules pileux et des glandes sébacées) pourrait jouer un rôle dans la survenue des ERSE (erlotinib-related skin effects)(3). Cette inhibition modulerait le système immunitaire, couplée à une réaction inflammatoire(3). De plus, la présence d’un lien entre la survenue des effets dermatologiques induits par l’erlotinib et l’augmentation de la probabilité de survie des patients traités par erlotinib(5) pourrait être un marqueur indirect de ce « réveil immunitaire ». Cette hypothèse expliquerait pourquoi les effets dermatologiques sont inégalement répartis chez un même patient. En effet, les zones du corps pauvres en EGFR, comme les paumes et les plantes sont en général épargnées(6).Éruption dite « acnéiforme »
Les anti-EGFR sont responsables de nombreux effets secondaires. Le plus fréquent est une éruption papulo-pustuleuse folliculaire, qui survient dans 43 à 85 % des cas, quel que soit l’anti-EGFR utilisé, en moyenne 1 à 3 semaines après le début du traitement(7), 2 semaines après traitement chez notre patient.
Cette éruption est souvent légère à modérée, transitoire et réversible( 8). Notre patient a été classé grade 2 (< 50 % de la surface cutanée atteinte) selon le National Cancer Institute Common Toxicity Criteria (NCI-CTC) version 3 que résume le tableau 1(9).
L’éruption cutanée prend l’aspect d’une véritable acné, mais les lésions sont prurigineuses pouvant devenir coalescentes, siègent sur le visage (zone T, menton, plis nasolabiaux), région rétro-auriculaire, le cou, la partie haute du tronc et le cuir chevelu. Dans les cas profus, l’abdomen, les fesses et les membres peuvent être atteints. Il n’existe pas de lésions rétentionnelles habituellement et les régions palmoplantaires sont respectées(7,8). Le prélèvement de pus est en général stérile, avec absence dePropionibacterium acnes ; il s’agit de pustules amicrobiennes(10,11). L’histologie retrouve une folliculite neutrophilique sans hyperkératose folliculaire, un infiltrat lympho- histiocytaire autour des follicules pilo-sébacés, avec présence de cellules géantes, multinucléées (12).
Dans certains cas, les papulo-pustules sont accompagnées d’un érythème facial diffus et de télangiectasies évoquant une rosacée, mais il n’existe pas de corrélation entre l’intensité de l’éruption et les ATCD d’hyperséborrhée, d’acné ou rosacée(13). Elles peuvent aussi prendre un aspect de dermite séborrhéique, plus rarement d’érysipèle fébrile. L’éruption peut aller jusqu’à la nécrose avec formation d’escarre et d’ulcérations dans des formes très sévères.
Il existerait une corrélation entre la dose administrée d’erlotinib et l’importance de la réaction cutanée, aussi l’intensité de la réaction cutanée est un facteur prédictif de bonne réponse au traitement(14).
Le traitement reste empirique et décevant. La possibilité d’amélioration spontanée rend difficile l’appréciation de l’efficacité des thérapeutiques proposées(15). Selon le grade de toxicité cutanée, on est amené soit à maintenir la même dose, à diminuer ou à arrêter complètement le traitement (tableau 1)(9). Il faut savoir que l’utilisation du peroxyde de benzoyle ainsi que de l’isotrétinoïne est controversée(16).
Le tableau 2(17) résume la prise en charge thérapeutique en fonction du grade, que ce soit en traitement local ou général.
Il faut aussi traiter la douleur, l’infection et le prurit. L’évaluation du traitement et la surveillance doit se faire tous les 3 mois.
Xérose cutanée
Comme autre effet secondaire, la xérose cutanée est fréquente (4 - 35 %) avec les inhibiteurs d’EGFR(18). Elle peut accompagner l’éruption papulo-pustuleuse, ou survenir plus tardivement après 2 à 3 mois. Une sécheresse muqueuse peut y être associée.Atteinte phanérienne
Un peu moins fréquemment, on peut constater une atteinte unguéale à type de paronychie ou de granulomes pyogéniques apparaissant au bout de quelques semaines à quelques mois, aussi bien sur les orteils que les doigts. La recherche bactériologique et mycologique au niveau périunguéal est fréquemment négative initialement, mais des surinfections sont possibles(19). Une alopécie progressive est classiquement observée après plusieurs mois d’utilisation. En parallèle, la structure du cheveu se modifie, devenant plus fin, plus cassant, frisé et brillant. De même, une trichomégalie peut survenir ainsi qu’une hypertrichose au niveau du visage.Autres atteintes
En dehors de l’atteinte cutanée sus-décrite, d’autres manifestations peuvent s’observer, que ce soit muqueuse à type de mucite, et sous forme d’atteinte palmoplantaire : c’est le syndrome mains-pieds, de différente sévérité pouvant conduire à l’arrêt du traitement.
Atteinte systémique
Divers organes peuvent être atteints de façon isolée ou concomitante à l’atteinte cutanée : l’appareil digestif responsable de nausées, diarrhée-vomissements, douleurs, voire hémorragies gastro-intestinales ; l’appareil respiratoire, le système nerveux et aussi une atteinte ophtalmologique. S. Osdoit et coll. ont rapporté un cas d’incapacité motrice et de fasciite radiologique chez un patient mis sous erlotinib pendant un an pour un adénocarcinome bronchique non à petites cellules, au stade métastatique, régressant sous dermocorticoïdes forts(20).
Les nouvelles thérapies ciblées ont amélioré la prise en charge thérapeutique et le pronostic de certaines néoplasies. Du fait de leur simplicité d’utilisation, monothérapie en monoprise, on note une augmentation de leur prescription, et en parallèle une augmentation des effets secondaires.
Les effets cutanés viennent au 1er plan vu le mode d’action de cette molécule. Selon l’intensité de l’éruption, ils peuvent avoir des répercussions cliniques et psychologiques importantes, nécessitant parfois l’hospitalisation.
Conclusion
Si le patient ne voit pas son cancer, il voit les effets indésirables des médicaments anticancéreux. Le rôle du dermatologue ne se limite pas au diagnostic de la toxicité cutanée, mais s’élargit à une prise en charge globale, visant à soulager le patient et l’accompagner tout au long de son traitement anticancéreux pour une meilleure adhésion et observance.Références
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